• La décroissance ou la mort - Stéphane Mortimore

     

     

    Nous nous berçons d’illusion. Dans les années 50 le géophysicien Marion King Hubbert, prévoyait la fin du pétrole aux Etats Unis pour l’année 1970, il ne s’est même pas trompé d’un mois. Et bien entendu quand il a fait cette annonce tout le monde s’est fichu de lui. Reporter sa courbe à la production mondiale, et le fameux pic de Hubbert était atteint en 2000. Hubbert s’est trompé. Il n’avait pas prévu les crises d’énergie des années 70. Le pic a été reporté d’année en année… Toutes les zones pétrolières ont été découvertes à la fin des années 60. Et depuis longtemps on sait que les pétroliers trichent sur leur réserve. Résolution de l’Opep oblige, plus on annonce de grandes réserves, plus on a le droit de pomper du brut. Et personne ne veut lâcher l’affaire. Le Royaume Uni, qui ne fait pas partie de l’Opep, a annoncé que ses réserves découvertes dans les années 50 seraient vides… Dans cinq ans. Cette courbe d’Hubbert est valable pour toutes les énergies non renouvelables. Et à ceux qui aimerait m’opposer par exemple que les ressources d’uranium sont quasi illimitées j’aimerais leur rappeler que c’est ce qu’on disait aussi des réserves de pétrole de Bakou ou du Texas avant de réaliser que illimité ça n’existe pas dans un monde limité.

    On a déjà prévu qu’au rythme où vont la Chine, l’Inde et le Brésil il faudra bientôt 30.000.000 barils / jour pour subvenir aux besoins du monde entier, or c’est bien de la chance si on parvient à grimper jusqu’à 12.000.000 / jour. Nous avons instauré un mode de vie et peu importe finalement si nous en revenons ou pas. Pour le moment l’Asie veut des voitures en masse, les ex pays de l’est veulent des supermarchés pleins avec la grosse monnaie euro dans la poche. Et ça ne fait que commencer si l’on compte sur les projets d’accord commerciaux transatlantiques, pan asiatiques, etc qui se proposent au fond de produire plus pour un marché encore plus vaste et dérégulé.

    Le marché ou la mort.

    Produire, absolument produire, et consommer. On a beaucoup glosé sur l’effondrement du Mur et du communisme ainsi démasqué. On n’a pas remarqué qu’en démasquant l’un on démasquait l’autre. Que ce que dénonçait déjà l’extrême gauche, à savoir que l’ordre bourgeois et capitaliste se servait de la démocratie comme d’un prétexte, était parfaitement vrai. Passé le danger, n’ayant plus besoin d’opposer à l’hydre communiste le motif d’une société libre et réellement démocratique, le capitalisme a montré son vrai visage. Loi sur le renseignement, captation des territoires et des modes d’exploitation à travers des accords commerciaux, détricotage des lois sur le travail, et intense lobbying pour que les secteurs prometteurs de la santé, de l’éducation et de la vieillesse tombent dans l’escarcelle du privé. Et à travers les réseaux sociaux, les études de plus en plus raffinées des cabinets de marketing, les mailles du filet se resserrent. Il ne s’agit plus seulement de déceler des niches de consommation, il s’agit d’en standardiser les modes. Mieux, il s’agit de faire des individus des produits. Bref, le vernis démocratique qu’a longtemps revendiqué celui qui s’appelait le « monde libre » se dilue dans le marché, il devient un produit comme un autre, et au regard des pressions que subit la Grèce, un produit de luxe même. Jean-Claude Junker ne s’est pas gêné pour le déclarer, « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». En résumé le capitalisme montre son échec le plus complet en ceci qu’il ne propose rien de plus qu’une course en avant vers une consommation sans fond, n’hésitant pas à faire plier les peuples et les nations aux besoins de sa captation et de sa rapacité. Ses défenseurs, se situant systématiquement sur un rapport de force dépassé, celui du rapport droite/gauche, arguant que non seulement l’économie collectiviste avait montré sa plus complète gabegie mais que le capitalisme avait produit de fabuleuses richesses, ce qui est vrai. Dans un rapport de valeur totalement déséquilibré, le capitalisme a permis à son prolétariat de s’enrichir un petit peu pendant qu’une assiette un peu plus large s’enrichissait énormément. Des millions de gens ont pu manger à leur faim, et même mieux se croire riches parce qu’ils avaient de la viande à chaque repas, et un médecin à portée de main.

    Mais tout ça ne repose que sur une logique productiviste. Le rapport gauche/droite, et même la relation tellement proximale que nous entretenons avec les résultats économiques. Le capitalisme étant tellement vide de sens, n’ayant en soi tellement rien à vendre paradoxalement, il en est venu à faire de l’économie un méta langage de notre quotidien. Nous ne nous demandons plus si tel artiste est bon puisqu’il fait un million de clics sur Youtube, que son album en crowfunding s’est vendu à 300.000 exemplaires et qu’il est passé au moins deux fois sur un plateau en prime time. Et cette logique productiviste ne fonctionne que par deux axiomes : 1) l’accès libre aux ressources énergétiques. 2) la quantité en réserve. Actuellement les Etats Unis sont les plus gros consommateurs d’énergie fossile de la planète. Une raison déjà simple à cela, l’Amérique s’est construite avec le pétrole, l’Amérique est un pays de voitures, l’Amérique a faim de pétrole, tellement faim que paf le chien, elle s’attaque à l’Irak. Ce n’est pas la première guerre énergétique, ce ne sera certainement pas la dernière. En sus de la guerre civile qui déchire l’Islam entre sunnites et chiites, l’on peut déjà voir le lutte d’influence dont dépendra le pétrole des émirats dans les années à venir. Et l’Amérique n’est qu’une partie du problème face à l’Asie et à la Chine en particulier. Or c’est une situation totalement inédite dans le monde industriel. Dans les années 70 seuls l’Europe, les USA et le Japon consommaient réellement du pétrole ou de l’uranium, aujourd’hui entre l’Inde et la Chine vous avez près de 2,5 milliards d’individus supplémentaires sur le marché, et précisément parce que celui-ci veille à enrichir ses clients, sa sphère commerciale augmente de jour en jour. L’Afrique aussi se modernise, et elle aussi elle veut des I Phones, des ordinateurs individuels, et une voiture. Pourquoi tout ce beau monde n’y aurait pas droit ?

    La tyrannie productiviste

    Les plus lents d’esprit de ce côté-ci du fleuve ont coutume de dire qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Demanderont-ils demain, pour sauvegarder leur confort, que les pays les plus pauvres n’accèdent jamais à la richesse ? Le capitalisme est une idéologie de captation et fait de la propriété un vol. Pour mieux se vendre il s’est intitulé lui-même libéralisme, or le libéralisme est une idéologie de l’individualisme face à la tyrannie du nombre. Pas un moyen pour améliorer ses qualités de prédateur. D’ailleurs qu’est-ce qu’une holding sinon un état subornant bien souvent d’autre état, le summum de la tyrannie dans la conception libérale. En réalité non seulement la logique productiviste du marché n’a rien à proposer, mais sa non proposition au forceps repose à la fois sur une situation totalement inédite qu’il ne peut anticiper, mais sur des réserves énergétiques limitées.... Un peu comme si on appuyait sur l’accélérateur à l’approche du mur…

    Face à ça, la gauche traditionnelle, qui s’est construite par opposition à ce productivisme et en a fait le cœur de son discours, ne sait plus quoi répondre. L’échec du Grand Modèle ayant surtout révélé la faiblesse des convictions idéologiques au sein de la communauté socialiste et communiste. Et même s’il a changé de nom l’ennemi demeure le capitalisme, mais puisqu’on n’a plus rien à lui opposer comme modèle économique… L’économie, voilà le grand mot de ce début de XXIème siècle. Pas encore débarrassée des oripeaux de son passé la gauche, comme la droite du reste, se déchire sur les termes d’un matérialisme contre un autre. D’un productivisme contre un autre, les deux extrémités d’un même système. Et le fil est si ténu aujourd’hui que la gauche française en est rendue à préférer le sociétal au social, de peur de froisser les nouveaux maîtres du lobbying européen. Maîtres auxquels nous ont du reste vendu leurs cousins de droite en faisant le plus légalement du monde un déni de démocratie.

    Mais qu’est-ce que c’est au fond la consommation, la production, quand on n’a rien d’autre à offrir ? C’est de la paix sociale. S’assurer que tout le monde ait sa télé, son I Phone, le frigo plein, c’est s’assurer que personne ne va se poser de question sur combien ça coûte exactement tout ça. Que personne ne va remettre en question le système. Que rien sinon les fous ne voudront jamais l’entraver. Pourquoi se priver du confort moderne volontairement ? Surtout quand on sait que des millions de gens n’ont même pas accès à l’eau courante. Et bien c’est peut être que bientôt, et plus vite que nous le croyons sans doute, nous n’allons simplement pas avoir de choix. Et la logique productiviste atteindra ses propres limites.

    La captation du mot croissance dans la sémantique capitaliste a fini par l’associer au mot progrès. Le progrès c’est la croissance, la croissance c’est le progrès. Pourtant la croissance exponentielle de la holding Coca Cola ne fait pas particulièrement avancer la recherche, voir nous fait régresser en termes d’hygiène alimentaire. Le raffinement que l’on met à pomper toujours plus de pétrole n’inclut pas que l’on fasse progresser la technologie sur les énergies renouvelables. Et même mieux, l’hyper croissance de certaines banques, oblige les états à pactiser avec leurs propres lois quand ces mêmes hypers banques trichent. Le vieux principe du trop gros pour tomber. Et HSBC peut dans la foulée payer une micro amende de deux milliards et demi d’euros pour blanchiment, annoncer un plan de licenciement devant en dégager quatre, et continuer très exactement comme avant sans être plus inquiétée. Parti de ce postulat on doit donc admettre que le progrès et la croissance sont deux choses différentes, et que décider sciemment de moins produire et de moins consommer ne va pas avoir les conséquences catastrophiques qu’on lui prête chez les plus réticents.

    La décroissance la future Révolution Industrielle

    Mais est-ce que ça suffira face à la croissance chinoise qui veut jouir sans entrave ? Face à la consommation américaine pour qui ce mot est un tout ? Qu’une poignée de pays d’Europe décide d’adopter un autre modèle économique non productiviste, social, adepte des circuits courts et donc anticipant sur les problèmes énergétiques à venir. La Suède qui a longtemps bramé son modèle écologique et social, est vite ramené dans la cours des grands quand on lui rappelle que la totalité de sa population ne représente qu’un quartier de Pékin. L’Europe est une puissance économique. Mais en termes de nombre, à moins d’un mouvement généralisé, elle ne représente pas grand-chose. Pour autant, ce modèle économique l’Europe marchande n’en veut surtout pas. Mieux, elle se sent tellement menacée par ce modèle, qu’elle sort toute l’artillerie contre la Grèce quitte à menacer de faire imploser son propre système. Il n’est pas question qu’on puisse envisager l’économie autrement qu’à travers le prisme européen des accords transnationaux. Qu’à travers le capitalisme le plus cru, le plus anti démocratique. De quoi a donc tant peur cette Europe-là ? Que redoute le G20 ? Il y a trente ans le discours écologique commençait tout juste à être pris en compte. Quand on parlait de réfugiés climatiques, les opposants à ce qu’ils appelaient « le catastrophisme » répondaient science-fiction. Aujourd’hui l’Inde érige un mur pour empêcher les bengalis de se pointer. Et on nous explique que non seulement nous vivons à crédit de nos énergies renouvelables mais que nous sommes face à une sixième extinction de masse.

    En réalité nous sommes probablement à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle qui va s’appeler la décroissance. Une révolution industrielle qui cette fois ne va pas profiter de l’exploitation infinie de sources énergétiques, mais faire avec leur raréfaction. Une révolution industrielle qui va devoir d’autant se réinventer que plutôt que de viser le productivisme le plus aveugle elle devra répondre à une demande spécifique. Une économie à l’échelle humaine dont l’effet spéculatif sera d’autant réduit. Et bien entendu dans cette logique une exigence de probité auprès de ses élites politiques. Qui, s’il ne peut aller de soi, signifiera que plutôt que des politiques ont mettra des citoyens responsables aux postes clés. Et c’est un peu tout ça qui effraie nos grands industriels et nos tout petits hommes politiques de droite ou de gauche. Que les populations se prennent en main et ne pensent plus la vie en termes de course au haricot magique de l’ascension formidable, avec deux voitures et une maison chauffée au gaz. N’envisagez surtout pas votre vie autrement, nous nous chargeons de tout.

    La réalité est que si un autre mode de vie, plus sobre, plus proche des réalités énergétiques, plus social, basé sur une économie de la coopération et non de la captation, est possible. Alors l’idée pourrait faire son chemin un peu partout, même en Chine où après tout la question de l’écologie n’est pas qu’une vaine affaire de bourgeois bohèmes inquiet pour ses tomates bio. La réalité est qu’on ne part pas en lutte contre un système qu’on ne craint pas et que si l’Europe du capital est si unanime contre tout système économique échappant à sa sphère alors c’est qu’il y a une piste à creuser de ce côté-là. Du moins pour ceux qui voudraient s’envisager un avenir, parce qu’en l’état nous n’en n’avons aucun.

    Stéphane Mortimore

    Source : http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/la-decroissance-ou-la-mort-187016

     

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