• La rhétorique du « tabou » et la leçon d’Orwell - Martine Chantecaille

    totem et tabou 3

    Qu’il s’agisse de la question des 35 heures ou de la dégressivité des allocations chômage, la rhétorique du « tabou » à briser a encore envahi l’espace public ces derniers jours.

    « Encore » car, depuis plusieurs années, les déclarations visant à « détabouïser » sont légion. De Laurence Parisot qui, en 2012, voulait « détabouïser la flexibilité » aux déclarations de ministres du gouvernement actuel sur le temps de travail, les seuils sociaux ou l’indemnisation du chômage en passant par la volonté exprimée par Bruno Le Maire en novembre 2013 d‘« apporter des réponses aux problèmes des Français quitte à briser un certain nombre de tabous » (il mentionnait tour à tour la réduction des dépenses publiques, la « simplification massive du droit du travail », la diminution de la durée de l’indemnisation chômage, la baisse des « charges », le « durcissement des règles du regroupement familial »), la liste des « briseurs de tabous » est longue et n’en finit pas de s’allonger.

    A chaque fois, l’emploi de cette rhétorique répond aux mêmes objectifs. Le premier est de délégitimer ce dont on parle en le renvoyant au domaine de l’irrationnel. Comme l’expliquait Freud, ce qui caractérise en effet les « prohibitions tabou c’est qu’elles ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ». Ainsi, faire entrer le repos dominical, les seuls sociaux, les 35 heures ou la dégressivité des allocations familiales dans la catégorie des « tabous », c’est les renvoyer à une genèse mystérieuse, à une absence de fondement rationnel, loin d’un principe ou d’un acquis historique que l’on voudrait préserver parce qu’on en mesure la valeur progressiste. Il s’agit là d’une imposture sémantique par laquelle les « briseurs de tabou » entendent transformer des acquis sociaux et la boussole rationnelle du progrès en interdits mystérieux infondés.  

    Quant au second objectif de la « détabouïsation », il consiste à s’auto-désigner comme celle ou celui qui ose avec courage et raison s’interroger sur ce que par tradition, habitude, facilité intellectuelle ou crainte de représailles sociales on n’osait pas remettre en question.

    Le manque d’originalité de la formule du « tabou à briser » devrait pourtant alerter toutes celles et tous ceux qui ne souhaitent pas, en réalité, n’être que des transmetteurs de formules creuses et d ‘expressions toutes faites.

    Dans un essai de 1946 intitulé La politique et la langue anglaise, Orwell expliquait qu’au lieu de réfléchir méticuleusement aux mots que l’on emploie, il est toujours possible de s’épargner cette peine et de laisser notre esprit « envahir par les expressions toutes faites. Elles construiront- expliquait-il ainsi- des phrases pour vous, elles penseront même à votre place, dans une certaine mesure et au besoin elles vous rendront un grand service en dissimulant partiellement, y compris à vous-même, ce que vous voulez dire». Ainsi, un politique qui ne prend pas la peine de réfléchir au sens des mots « est en voie de faire de lui-même une machine. Les bruits appropriés sortent de son larynx, mais son cerveau n’est pas impliqué comme il le serait s’il choisissait ses mots lui même. Si le discours qu’il fait est quelque chose dont il est habitué à parler encore et toujours, il est probablement presque inconscient de ce qu’il dit, comme quand on dit les répons à l’église. Et cet état réduit de conscience, sinon indispensable, est en tout cas favorable à la conformité politique ». Contrer la « décrépitude du langage » n’est pas chose aisée «  On ne peut pas changer tout celà en un instant - reconnaissait Orwell -  mais on peut au moins changer ses propres habitudes et de temps en temps on peut même, si on se moque assez fort, envoyer quelques expressions usées et inutiles – quelque sous la botte, talon d’Achille, foyer, melting pot, épreuve décisive, enfer véritable, ou autre déchet verbal – dans la poubelle, à laquelle il appartient.

    Sans ce travail exigeant sur le poids des mots, aucune bataille culturelle ne pourra se mener. Il est pourtant urgent de contrer l’idée d’une absence d’alternative aux poncifs libéraux.

    source : http://martinechantecaille.fr/la-rhetorique-du-tabou-et-la-lecon-dorwell/

    la photo de profil de Martine Chantecaille

    Docteur en philosophie, Martine Chantecaille est membre du Conseil National du Parti Socialiste, conseillère municipale et d'agglomération à la Roche/Yon, candidate en 2012 aux élections législatives sur la 1ère circonscription de Vendée.

     

    La rhétorique du « tabou » et la leçon d’Orwell - Martine Chantecaille

    George Orwell, nom de plume d'Eric Arthur Blair, né le 25 juin 1903 à Motihari (Inde) pendant la période du Raj britannique et mort le 21 janvier 1950 à Londres, est un écrivain et journaliste anglais.

    Son œuvre porte la marque de ses engagements, qui trouvent eux-mêmes pour une large part leur source dans l'expérience personnelle de l'auteur : contre l'impérialisme britannique, après son engagement de jeunesse comme représentant des forces de l'ordre colonial en Birmanie ; pour la justice sociale et le socialisme, après avoir observé et partagé les conditions d'existence des classes laborieuses à Londres et à Paris ; contre les totalitarismes nazi et soviétique, après sa participation à la guerre d'Espagne. Parfois qualifié d'« anarchiste conservateur », il est souvent comparé à la philosophe Simone Weil, en raison de ses prises de positions originales pour un socialiste.

    Témoin de son époque, Orwell est dans les années 1930 et 1940 chroniqueur, critique littéraire et romancier. De cette production variée, les deux œuvres au succès le plus durable sont deux textes publiés après la Seconde Guerre mondiale : La Ferme des animaux et surtout 1984, roman dans lequel il crée le concept de Big Brother, depuis passé dans le langage courant de la critique des techniques modernes de surveillance et de contrôle des individus. L'adjectif « orwellien » est également fréquemment utilisé en référence à l'univers totalitaire imaginé par l'écrivain anglais.

    source : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Orwell


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