• Violences policières : “L’objectif n’est plus de repousser un groupe, mais de blesser des individus” - Mathieu Dejean

    29/05/2016 | 13h14

    Depuis le début des mobilisations contre la “loi travail”, la répression contre les manifestants s’accentue, et les blessés se multiplient. Pour Pierre Douillard-Lefevre, auteur de L’Arme à l’œil, ces violences sont le fruit d’une “militarisation de la police”. Entretien.

    La liste des éborgnés et des blessés graves suite à des tirs de Flash-Ball et des grenades de désencerclement s’allonge depuis le début des mobilisations contre la “loi travail”. “Au rythme où on va, quelqu’un va mourir parce que la violence est à chaque manifestation un peu plus élevée”, s’inquiétait Jean-Luc Mélenchon suite à la manifestation du 1er mai. Pierre Douillard-Lefevre, diplômé en histoire et sociologie, a lui-même perdu l’usage d’un œil en 2007 suite à un tir de Flash-Ball. Engagé depuis aux côtés d’autres blessés contre la militarisation des forces de l’ordre, il vient de publier L’Arme à l’œil, Violences d’Etat et militarisation de la police. Entretien.

    La mort de Rémi Fraisse aurait pu être l’occasion d’une remise en cause de l’arsenal policier, pourtant comme vous l’expliquez dans votre livre ça n’a pas été le cas. Pourquoi a-t-on raté cette occasion ?

    Pierre Douillard-Lefevre – La mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade de la gendarmerie en octobre 2014 est un moment révélateur, épiphanique. Non seulement il n’y a pas de remise en cause de l’arsenal policier, mais c’est au contraire l’occasion d’un renforcement historique et d’une légitimation de la violence d’État contre les contestataires par le gouvernement socialiste.

    Il faut remonter à l’année 1986 pour trouver un cas comparable : la mort de Malik Oussekine tabassé par les voltigeurs – des policiers à moto – lors d’une manifestation étudiante contre la loi Devaquet. A l’époque, l’ensemble de la gauche descend immédiatement dans la rue, un ministre démissionne, le projet de loi est retiré, les voltigeurs sont supprimés. A l’automne 2014, après la mort de Rémi Fraisse, l’ensemble de la gauche institutionnelle garde le silence. Pire, les manifestations organisées en réponse au drame sont férocement réprimées, voire interdites, à Paris, Nantes, Rennes ou Toulouse. Les socialistes décident d’assumer la mort du jeune manifestant et d’écraser la colère.

    Nous entrons dans une nouvelle séquence du maintien de l’ordre, qui est aussi l’aboutissement de 20 ans de surenchère sécuritaire et d’expérimentations d’un nouvel arsenal policier dans les quartiers périphériques des métropoles et aux frontières de l’Europe.

    La commission d’enquête parlementaire lancée suite au drame de Sivens rend son rapport après les attentats de janvier 2015. Après des semaines d’auditions largement consacrées à l’écoute des doléances de la police et de la gendarmerie, le rapport final préconise notamment la généralisation du LBD 40 – plus puissant que le Flash-Ball – et l’arrestation préventive d’individus fichés par les services de renseignements. Cette commission lancée après la mort d’un manifestant ne prétend même plus promouvoir un “maintien de l’ordre républicain”, mais consacre ouvertement les revendications des policiers.

    Vous dites qu’on assiste depuis deux décennies à une militarisation de la police : comment se manifeste-t-elle ? Les armes ont-elles changé ?

    La militarisation du maintien de l’ordre est le processus par lequel on a introduit des armes de plus en plus dangereuses dans les mains des policiers. Il y a aujourd’hui un effacement de la limite entre opérations militaires de “maintien de la paix” à l’étranger et opérations policières de “maintien de l’ordre” à l’intérieur de nos frontières. Cela s’illustre aussi bien dans le lexique de la police – on parle de “neutraliser des cibles”, “d’adversaires” – que dans ses pratiques – utilisation de drone, d’hélicoptères, quadrillage de l’espace, opérations de grande envergure sur les ZAD.

    A partir de 1995, trois générations de lanceurs de balles en caoutchouc, de plus en plus puissants, sont distribuées dans la police. Les Flash-Ball Monopro puis Superpro, et enfin le Lanceur de Balles de Défense 40 – LBD 40 – testé à partir de 2007, doté d’un canon rayé, d’un viseur Eotech, et classé dans la catégorie A, “arme à feu à usage militaire”. Aujourd’hui, plusieurs milliers de balles en caoutchouc sont tirées chaque année en France. Le geste n’est pas anodin : on tire à nouveau sur la foule. L’objectif n’est plus de repousser un groupe, mais de blesser des individus, de marquer dans la chair, d’en toucher un pour en terroriser cent. C’est un tournant dans les doctrines du maintien de l’ordre.

    En parallèle, l’emploi de toute une gamme d’armes dites “non létales” se généralise, notamment les fameuses “grenades de désencerclement” – Dispositif Manuel de Protection – utilisées massivement et indistinctement, qui ont tout récemment gravement blessé à la tête un journaliste indépendant, à Paris le 26 mai. Le même jour, un policier en civil sortait son arme de service face à des manifestants. Cela illustre parfaitement le phénomène de normalisation de l’utilisation d’armes à feu contre les indésirables. En septembre 2015, le ministère de l’Intérieur lance une commande de 115 000 munitions de LBD 40 par an. Ce qui laisse présager une augmentation exponentielle des tirs de balles en caoutchouc dans les années qui viennent.

    Propos receuillis par Mathieu Dejean

    source : http://www.lesinrocks.com/2016/05/29/actualite/violences-policieres-lobjectif-nest-plus-de-repousser-groupe-de-blesser-individus-11832511/

     

    Plus d'infos :

    => Article Cet homme est un casseur ? non c'est un policier - Vladimir Slonska-Malvaud

    => Le livre L’arme à l’oeil. Violences d’Etat et militarisation de la police

    arme

     

    Automne 2014, un manifestant est tué par une grenade lancée par un gendarme à Sivens. L’armement de la police fait, pour la première fois, la une de l’actualité. Loin de susciter de réactions à la hauteur, ce drame est l’occasion pour le pouvoir de renforcer ses stratégies de maintien de l’ordre en faisant interdire et réprimer implacablement les mobilisations qui suivent. La mort de Rémi Fraisse n’est ni une « bavure », ni un accident. Elle est le produit d’une logique structurelle, qui s’inscrit dans un processus d’impunité généralisée et de militarisation de la police en germe depuis deux décennies.

    Sur fond d’hégémonie culturelle des idées sécuritaires, la police française se dote de nouvelles armes  sous l’impulsion des gouvernements successifs : taser, grenades, flashballs, LBD. On tire à nouveau sur la foule. D’abord expérimentées dans les quartiers périphériques, puis contre les mobilisations incontrôlables, les armes de la police s’imposent aujourd’hui potentiellement contre tous. « En blesser un pour en terroriser mille », telle est la doctrine des armes de la police.

    Cet essai passe en revue l’armement de la police pour comprendre ce que les armes disent de notre temps, quelles sont les logiques politiques qu’elles suggèrent, au-delà des spécificités françaises d’un maintien de l’ordre présenté comme irréprochable.

     

    Pierre Douillard-Lefevre est blessé au visage lors d’une manifestation, par le tir d’une nouvelle arme de la police : les Lanceurs de Balles de Défense. Nous sommes en 2007, il a 16 ans. Depuis, il lutte aux côtés d’autres blessés contre la militarisation et l’impunité des forces de l’ordre. Diplômé en histoire et sociologie, il a  contribué en tant que dessinateur à une Bande Dessinée collective, Les Désobéisseurs, Vide Cocagne, 2013.

    => Livre La domination policière - une violence industrielle

    Violences policières : “L’objectif n’est plus de repousser un groupe, mais de blesser des individus” - Mathieu Dejean

      La violence policière n'a rien d'accidentel, elle est rationnellement produite et régulée par le dispositif étatique. La théorie et les pratiques de la police française sont profondément enracinées dans le système colonial : on verra dans ce livre qu'entre les brigades nord-africaines dans les bidonvilles de l'entre-deux-guerres et les brigades anticriminalité (les BAC) dans les "cités" actuelles, une même mécanique se reproduit en se restructurant. Il s'agit toujours de maintenir l'ordre chez les colonisés de l'intérieur; de contenir- les territoires du socio-apartheid. Le développement des armes "non létales" - Flash Ball, Taser... - propulse aussi une véritable industrie privée de la coercition. Rigouste montre comment l'expansion du marché international de la violence encadre la diffusion des doctrines de la contre-insurrection et permet de les appliquer à l'intérieur des métropoles impériales. Cette enquête, fondée sur l'observation des techniques et des pratiques d'encadrement et de ségrégation depuis ceux qui les subissent et les combattent, montre comment est assurée la domination policière des indésirables, des misérables et des insoumis en France.

     

    Le Flash-Ball est un lanceur de balle de défense ou LBD. Ce terme, qui est une marque déposée, sert couramment à désigner tous les lanceurs de balle de défense. Il a été conçu à l’origine par Pierre Richert expert en balistique auprès des tribunaux, pour proposer aux particuliers une alternative aux armes à feu classiques. Il a ensuite été développé, fabriqué et commercialisé par l'entreprise française Verney-Carron.

    Le gouvernement français a décidé dans les années 1990 d'équiper certaines unités de police de cette arme. Considérée comme sublétale, c'est une arme qui est conçue pour ne pas pouvoir tuer. Il s'agit toutefois d'une arme à feu qui reste potentiellement dangereuse et peut causer des blessures graves.

    source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Flash-Ball_%28marque%29

    Cet homme est-il un casseur ? Non c'est un policier - V. Slonska-Malvaud

    => Site de l'ACAT - ONG de lutte contre la torture et la peine de mort

    « La non-violence est une arme puissante et juste, qui tranche sans blesser et ennoblit l’homme qui la manie. C’est une épée qui guérit. » (Martin Luther King)


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