• Emmanuel Todd : macronisme et poutinisme, une comparaison sociologique  

     

    Emmanuel Todd, né le 16 mai 1951 à Saint-Germain-en-Laye, est un anthropologue, historien et essayiste français.

    Il travaille principalement sur les thèmes de la parenté et de la famille, selon la démarche de l'anthropologie historique. Formé au début des années 1970 dans ce courant historiographique, il développe depuis une œuvre où l'analyse historique s'appuie sur la géographie, la statistique des populations et d'autres sources. Il définit ses travaux comme relevant autant de la démographie, de l'anthropologie ou de la sociologie, que de l'histoire. Son hypothèse centrale est le rôle déterminant des systèmes familiaux dans la constitution et l'évolution des idéologies politiques, des comportements électoraux et des religions.

    source Wikipedia

    Publié le 20/04/2023 à 19:36

    Notre chroniqueur Emmanuel Todd a comparé les bases soutenant respectivement le président français et l’autocrate russe. Il affirme que Vladimir Poutine s’appuie sur les classes populaires de son pays, tandis qu’Emmanuel Macron trouve son assise parmi les classes moyennes supérieures.

    La validation par le Conseil constitutionnel d’une loi passée au 49.3 pour bousiller le pacte social français, le rejet par le même Concon d’un référendum d’initiative partagée, ouvrent la possibilité d’un comparatisme politique international 2.0. Nous retrouvons, dans ce Concon, les inséparables Rantanplan de la Ve République, Laurent Fabius et Alain Juppé, avec sept comparses de moindre envergure, dont deux autres énarques. Bref, le Concon n’est que la clé de voûte d’une domination du peuple par la haute bureaucratie, cette énarchie qui nous a aussi donné Giscard, Chirac, Jospin, Hollande, Macron. La France, coincée dans l’Union européenne et l’Otan, gérée par ces maîtres de la procédure qui ne comprennent pas l’économie de marché, la production, l’inflation, la guerre, n’est plus une démocratie libérale.


    Post-démocratie

    Cette forme politique exige en effet l’alternance, condition réalisée aux États-Unis, où la pluralité des oligarques permet le pluralisme, même si républicains trumpisés et démocrates clintonisés font hoqueter l’Amérique entre abolition et défense de l’avortement, destruction et sauvetage du système de santé, repli national et impérialisme violent. Au final, le pire est presque certain dans tous les cas mais, enfin, il y a débat. En France, c’est terminé. Nos votes sont des rituels pour rire. Nous pouvons dater la post-démocratie : 2005, avec le non au Traité constitutionnel européen, sur lequel nos maîtres s’assoient par le traité de Lisbonne.

    L’État français règne, de plus en plus, au point que son audiovisuel est désormais interdit à toute opinion dissidente sur la guerre d’Ukraine. Les réfractaires ne sont certes pas menacés de prison, comme en Russie. Certains journaux préservent un reste de débat. Et surtout, ce qui subsiste de richesse permet à la post-démocratie française de rester cool. Mais notre armée n’est pas encore en Ukraine, l’inflation n’a pas encore affamé nos pauvres et nos vieux. Un historien sérieux doit envisager dans le futur que la France se fascise.

    Le pouvoir interminable de Poutine ne se cache pas derrière des changements décoratifs à la française, même si Medvedev a remplacé Poutine le temps d’une présidence. Les partis « d’opposition » russes sont le plus souvent de franches émanations du Kremlin, alors qu’en France LFI et le RN émergent de la partie brimée de la société française. Mais, après le coup des retraites, il devient impossible de rire plus fort de la Douma que de l’Assemblée nationale, ces sœurs en impuissance. Il y a pire. Nous devons affronter le paradoxe qui tue : ces sondages d’opinion qui soutiennent Poutine et vomissent Macron. Personne ne conteste leur validité. Pas d’alternance en Russie, pas d’alternance en France, mais le peuple russe soutient Poutine et le peuple français haït Macron.


    Systèmes politiques autoritaires

    Une sociologie électorale détaillée nous montre les rapports différents de ces États tout-puissants aux forces vives des deux nations. Schématisons. En France, vieux et classes moyennes supérieures soutiennent Macron. Éduqués supérieurs pauvres votent LFI et travailleurs manuels penchent pour le RN. Ces deux dernières catégories sont les relégués de la représentation politique. En Russie, comme le révèlent les solides études d’Alexandre Latsa, le parti Russie unie, qui soutient Poutine, s’appuie sur les Russes ordinaires, et ce sont les classes moyennes supérieures de Moscou et de Saint-Pétersbourg qui sont les dominées du système.

    Horreur ! Si l’on compare donc en profondeur (sociale) France et Russie, deux systèmes politiques autoritaires, parallèlement contrôlés par une haute bureaucratie, le régime russe apparaît plus démocratique (égalitaire) que le français. Si l’Amérique est une oligarchie pluraliste et la Russie une autocratie égalitaire, comment décrire la France ? Évitons tout effort inutile. Notre bureaucratie obéit elle-même à Washington et à Berlin. Il n’y a pas de système politique français, donc pas de problème terminologique. Je vais quand même terminer par un mot sympa pour mon pays. Je ne pense pas qu’après publication de cet article la police française viendra me cueillir, à la russe, pour me transférer à la Santé. Mais grâce à la protection de qui ? Pas du Conseil d’État ou du Concon, c’est sûr. Peut-être de notre histoire.

    Source : https://www.marianne.net/agora/humeurs/emmanuel-todd-macronisme-et-poutinisme-une-comparaison-sociologique?xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiM2RkNTU0M2I0OGQzOWY0OGFkODQ1NjNjYjM1ODBjNzkifQ%3D%3D

     

    Plus d'infos :

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